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Ce rapport prouve que le changement climatique est devenu le dernier dommage collatéral de la guerre. Les 2,2 billions de dollars de dépenses militaires mondiales signifient de l’argent détourné de l’action pour le climat, des émissions en hausse, des conflits alimentés dans les nations les plus vulnérables au climat.
Lors du sommet annuel sur le climat (COP27) qui s’est tenu en Égypte en novembre 2022, de nombreuses questions ont été abordées, mais les dépenses militaires ne figuraient pas à l’ordre du jour officiel. Pourtant, comme le montre ce rapport, les dépenses militaires et les ventes d’armes ont un impact profond et durable sur les capacités de faire face à la crise climatique, et plus encore, pour le faire d’une manière qui favorise la justice. Chaque dollar dépensé pour l’armée augmente non seulement les émissions de gaz à effet de serre (GES), mais détourne aussi les ressources financières de la lutte contre l’une des plus grandes menaces existentielles que l’humanité ait jamais connue, ainsi que les compétences et l’attention que celle-ci requiert. En outre, l’augmentation constante des flux d’armes dans le monde entier jette de l’huile sur le feu climatique, attise la violence et les conflits et aggrave les souffrances des communautés les plus vulnérables à la dégradation du climat.
Les dépenses militaires et les émissions de GES suivent la même courbe ascendante, et celle-ci est abrupte. Les dépenses militaires mondiales sont en hausse depuis la fin des années 1990, bondissant depuis 2014 pour atteindre le montant record de 2 000 milliards USD en 2021. Pourtant, les pays même qui affichent les plus grandes dépenses militaires sont incapables de trouver ne serait-ce qu’une fraction des ressources nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique ni de prendre le moindre engagement en ce sens.
Voici ce qui ressort de notre étude :
Les pays les plus riches (selon le classement de l’Annexe II des négociations des Nations unies sur le climat) dépensent 30 fois plus pour leurs forces armées que pour financer les actions pour le climat dans les pays les plus vulnérables, ce qu’ils sont pourtant légalement tenus de faire.
Sept des dix premiers émetteurs historiques figurent également parmi les dix premiers dépensiers militaires mondiaux : par ordre de grandeur, les États-Unis sont de loin les plus dépensiers, suivis de la Chine, de la Russie, du Royaume-Uni, de la France, du Japon et de l’Allemagne. Les trois autres pays de ce « top 10 » – l’Arabie saoudite, l’Inde et la Corée du Sud – sont également de gros émetteurs de GES.
Entre 2013 et 2021, les pays les plus riches (Annexe II) ont dépensé 9,45 trillions USD pour leurs forces armées, soit 56,3 % du total des dépenses militaires mondiales (16,8 trillions USD), alors qu’on estime qu’ils ont effectué pour 243,9 milliards USD de dépenses supplémentaires pour le climat. Les dépenses militaires ont augmenté de 21,3 % depuis 2013.
Selon un rapport publié en 2022 par le Scientists for Global Responsibility, l’empreinte carbone de l’armée mondiale représente environ 5,5 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre. À titre de comparaison, l’aviation civile représente 2 % des émissions mondiales de GES.
En termes de consommation de carburant, si les forces armées du monde étaient classées comme un seul pays, elles seraient le 29e plus grand consommateur de pétrole au monde, juste devant la Belgique et l’Afrique du Sud.
Selon d’autres estimations du CEOBS (Conflict Environment Observatory) et de Scientists for Global Responsibility (SGR), l’empreinte carbone militaire annuelle est évaluée à 205 millions de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone pour les États-Unis et à 11 millions de tonnes pour le Royaume-Uni. Quant à la France, elle compte pour environ un tiers des 24,8 millions de tonnes estimées pour l’Union européenne.
Les forces armées des pays les plus riches vantent de plus en plus leurs efforts pour lutter contre le changement climatique, citant notamment l’installation de panneaux solaires sur les bases, la construction de protections contre l’élévation du niveau de la mer et le remplacement des combustibles fossiles dans certains matériels militaires. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit qu’il s’agit davantage de battage médiatique que de progrès substantiels :
Dans la plupart des stratégies militaires nationales sur le climat, les objectifs de réduction sont vagues et non définis. Par exemple, la France affirme avoir réduit la consommation de combustibles fossiles de ses bases militaires de 22 % depuis 2010 et s’engage à la réduire encore de 30 %. Mais aucun objectif n’est fixé pour sa consommation de carburant opérationnel, qui est supposée couvrir 75 % de la consommation d’énergie militaire.
Les armées n’ont pas su trouver des carburants alternatifs valables pour les transports et les équipements utilisés lors des opérations et des exercices. Ces carburants représentent 75 % de la consommation d’énergie des armées. Le carburéacteur représente à lui seul 70 % du carburant utilisé par les armées, suivi de la propulsion navale et, dans une moindre mesure, des véhicules terrestres. L’aviation militaire est confrontée aux mêmes défis que l’aviation civile : les carburants alternatifs sont encore trop chers, leur disponibilité est limitée et ils ne sont pas durables.
La plupart des objectifs déclarés de « Zéro émissions nettes » reposent sur de fausses hypothèses. lls sont censés être atteints grâce à des technologies qui n’existent pas encore à l’échelle, telles que la capture du carbone, ou de combustibles de substitution dont les coûts sociaux et environnementaux sont très élevés.
En attendant, l’armée continue de développer de nouveaux systèmes d’armes encore plus polluants. Par exemple, les chasseurs F-35A consomment environ 5 600 litres de pétrole par heure, contre 3 500 pour les chasseurs F-16 qu’ils remplacent. Comme les systèmes militaires ont une durée de vie de 30 à 40 ans, cela signifie qu’il faudra continuer d’utiliser ces systèmes très polluants pendant de nombreuses années.
En outre, les alliances militaires telles que l’OTAN ont clairement indiqué qu’elles ne compromettraient pas leur domination militaire pour lutter contre le changement climatique. Celui-ci n’est abordé dans les différents plans de sécurité nationale que dans les appels à augmenter les dépenses militaires pour faire face à cette « menace », plutôt que comme la nécessité de réduire ou repenser leurs opérations.
L’invasion russe de l’Ukraine en 2014, et en particulier l’énorme escalade depuis février 2022, a été utilisée pour approuver des augmentations majeures de dépenses militaires (et, par conséquent, des émissions de GES), sans la moindre prise en compte apparente des impacts climatiques, ni par la Russie, ni par les 30 pays membres de l’alliance de l’OTAN.
La Commission européenne estime que ses États membres augmenteront leurs dépenses militaires d’au moins 200 milliards EUR, en combinant des fonds supplémentaires ad hoc et des augmentations structurelles à plus long terme. Les États-Unis ont approuvé un budget militaire record de 840 milliards USD pour 2023, et la France a annoncé des dépenses militaires supplémentaires de 3 milliards EUR en 2022. La Russie a approuvé une augmentation de 27 % de ses dépenses militaires depuis 2021, ce qui portera ses budgets à un total de 83,5 milliards USD en 2023. Les objectifs climatiques ont été rapidement évacués au profit d’objectifs militaires. Rien qu’en 2022, 476 avions de chasse, parmi les plus gourmands en carburant, les F-35, ont été commandés – 24 pour la République tchèque, 35 pour l’Allemagne, 36 pour la Suisse, 6 de plus pour les Pays-Bas en plus des commandes précédentes, et 375 pour les États- Unis.
La guerre détourne déjà les ressources du financement climatique au profit des dépenses militaires. En juin 2022, le Royaume-Uni a transféré de l’argent de son budget de financement climatique pour contribuer au forfait de soutien militaire à l’Ukraine à concurrence d’1 milliard GBP. Le gouvernement norvégien a suspendu tous ses débours d’aide au développement, en ce compris le financement climatique, afin « d’anticiper » les conséquences potentielles de la guerre en Ukraine.
L’industrie de l’armement est en plein essor grâce à l’augmentation mondiale des dépenses militaires et s’est diversifiée dans des secteurs comme le contrôle des frontières et la gestion de l’immigration. L’Agence européenne de défense (AED) a indiqué en 2021 que « l’augmentation mondiale des investissements dans la défense a le plus fortement bénéficié à l’acquisition de nouveaux équipements » au cours des dernières années. Après l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie, et en particulier après que l’Allemagne a annoncé une augmentation de 100 milliards EUR, les cours des actions des grandes entreprises d’armement se sont envolés.
Les pays les plus riches (Annexe II) ont représenté 64,6 % de la valeur totale des transferts internationaux d’armes (2013-2021).
La France est le troisième exportateur d’armes au monde (2013-2021), responsable de 8,9 % des transferts d’armes dans le monde.
Les pays de l’Annexe II ont exporté des armes vers les 40 pays les plus vulnérables au changement climatique. Treize de ces pays sont impliqués dans des conflits armés, 20 ont des régimes autoritaires et 25 font partie des pays dont le niveau de développement humain est le plus faible. Certains d’entre eux font également l’objet d’un embargo sur les armes imposé par les Nations unies et/ou l’UE (Afghanistan, République centrafricaine, Myanmar, Somalie, Soudan, Yémen et Zimbabwe).
La France exporte des armes vers 17 de ces pays vulnérables au climat : Bénin, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Kenya, Laos, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Ouganda, Pakistan, République centrafricaine, Sénégal, Sierra Leone et Tchad.
La Russie et la Chine, deuxième et quatrième plus gros exportateurs d’armes, en exportent également vers des pays climatiquement vulnérables et sont connues pour ignorer les embargos internationaux sur les armes. Entre 2013 et 2021, la Chine et la Russie ont exporté des armes respectivement vers 21 et 13 des pays les plus vulnérables au climat.
Non seulement ces exportations d’armes détournent des fonds nécessaires pour atténuer le changement climatique et s’y adapter, mais elles risquent également d’alimenter les conflits, la répression et les violations des droits humains pour les populations les plus exposées au changement climatique. Il s’agit en quelque sorte d’une « maladaptation » au changement climatique.
L’Égypte a accueilli les négociations des Nations unies sur le climat, la COP27, en novembre 2022, mais elle se distingue bien plus par ses dépenses militaires que par son action en faveur du climat.
Entre 2017 et 2021, l’Égypte a été l’un des cinq plus grands importateurs d’armes, recevant 5,7 % des importations mondiales. Ses principaux fournisseurs sont la Russie (41 %), la France (21 %) et l’Italie (15 %). Elle bénéficie également d’un soutien pour sa police et ses garde-frontières de la part des États membres de l’UE, en particulier l’Allemagne.
En 2015 et 2021, l’Égypte a versé 5,2 milliards EURos et 4,2 milliards EURos à des entreprises d’armement françaises pour l’achat d’un porte-hélicoptères Mistral, de deux frégates FREMM, de quatre corvettes GOWIND, de 24 avions de chasse Rafale, de missiles et de logiciels d’espionnage.
Pourtant, l’Égypte a conclu des contrats de combustibles fossiles d’une valeur de 74 milliards USD depuis 2014, notamment avec des entreprises américaines comme ExxonMobil et Chevron ; n’a pas élaboré de plans efficaces d’adaptation climatique et réprime activement les activistes pour le climat et la démocratie, notamment dans les semaines qui ont précédé la COP27.
Les pays les plus riches n’ont jamais tenu leurs promesses de fournir un financement climatique annuel – pourtant déjà insuffisant – de 100 milliards USD aux pays les plus vulnérables au climat. Ils refusent également de prendre des engagements concrets pour compenser des pertes et dommages de plus en plus importants, tels que les inondations au Pakistan et la sécheresse dans la Corne de l’Afrique en 2022.
Une année de dépenses militaires effectuées par les dix plus grands dépensiers permettrait de financer les engagements internationaux en matière de climat pendant 15 ans (à raison de 100 milliards USD par an).
Soixante-dix milliards USD pourraient être dégagés pour l’adaptation au changement climatique avec seulement 4 % de ce que les 10 premiers pays (États- Unis, Chine, Inde, Royaume-Uni, Russie, France, Allemagne, Arabie saoudite, Japon et Corée du Sud) dépensent annuellement pour l’armée (un rapport de 1:23) et 3 % des dépenses militaires mondiales annuelles (1:30).
Si l’on ajoute à cela d’autres propositions de financement – comme la fin des subventions pour les combustibles fossiles, le décaissement des Droits de Tirage Spéciaux (DTS), de nouvelles taxes sur l’extraction des combustibles fossiles, les transactions financières, l’aviation et le transport maritime – les fonds sont plus que suffisants pour financer l’atténuation, l’adaptation ainsi que les pertes et dommages.
Face à la crise climatique et aux signaux indiquant qu’un dangereux point de basculement est atteint à l’échelle planétaire, il est impératif de donner la priorité à l’action climatique et à la coopération internationale pour protéger ceux qui seront les plus touchés. Pourtant, en 2023, une course aux armements exacerbe la crise climatique et empêche sa résolution. Le moment ne pourrait pas être plus mal choisi. Pour faire face à la plus grande menace pour la sécurité humaine – l’urgence climatique – il est nécessaire que tous les pays – les membres de l’OTAN ainsi que la Russie et la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies – travaillent ensemble pour privilégier le climat et non le militarisme. Aucun pays ne peut être en sécurité sur une planète en proie au dérèglement climatique.
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